Comment des investisseurs ont perdu de l’argent dans un fonds qui affichait un rendement annuel moyen de 30 %?

Rédigé par : Sam Sivarajan
Source : The Globe and Mail

 

Cet article a été publié sous licence avec l’autorisation de l’auteur et a été initialement publié dans le Globe and Mail sous le même titre le 28 juillet 2023.

Imaginez que vous investissiez dans un fonds qui a rapporté en moyenne environ 30 % par an pendant plus de dix ans. Intéressant, non? Un portefeuille gagnant paraît assuré.

Or, il n’en a rien été pour certains investisseurs. C’est du moins ce que l’on raconte. Nous ignorons combien d’investisseurs ont perdu de l’argent dans ce fonds, mais il y a une bonne leçon à en tirer.

En 1977, Fidelity Investments nommait Peter Lynch à la tête de l’obscur fonds Magellan. Ce fonds ne disposait que d’environ 20 millions de dollars d’actifs. Lorsque M. Lynch a démissionné en 1990, le fonds avait atteint 14 milliards de dollars d’actifs.

Bien que les rendements aient été impressionnants, de nombreux investisseurs du fonds Magellan ont perdu de l’argent, si l’on en croit M. Lynch et plusieurs articles de presse.

Comment est-ce possible? En réalité, une excellente performance du fonds ne se traduit pas nécessairement par un rendement élevé pour les investisseurs. Pour obtenir un tel rendement, les investisseurs doivent conserver leurs placements à long terme et éviter la tentation de programmer leurs achats et leurs ventes.

Les investisseurs se tournent généralement vers un nouveau placement s’il a enregistré d’excellents résultats l’année précédente, puis s’en débarrassent en cas de mauvaises nouvelles sur le marché. Des études de marché ont montré que la durée moyenne de détention de fonds d’actions est inférieure à trois ans. Quant aux titres individuels, la durée moyenne de détention est d’environ 5,5 mois, selon les données de la Bourse de New York. À titre de comparaison, la durée moyenne de détention des actions à la fin des années 1950 était de huit ans.

D’après les données du marché, au cours de toutes les périodes de 12 mois pendant lesquelles M. Lynch a géré le fonds Magellan, celui-ci a perdu de l’argent 17 % du temps. En plus d’être possible, cette situation reflète la réalité du marché. Au cours des 43 dernières années, l’indice S&P 500 a chuté en moyenne de 14,3 % au cours de l’année; malgré tout, il s’est redressé et a enregistré des rendements annuels positifs à 32 reprises.

Et c’est là que surgit un obstacle majeur dont les investisseurs doivent être conscients : le biais d’action. Il s’agit de la propension à l’action plutôt qu’à l’inaction, même si cela n’aboutit pas à un meilleur résultat.

Une étude sur les tirs de réparation au soccer montre l’incidence du biais d’action. Au soccer, lorsqu’il y a tir de réparation, le joueur frappe le ballon d’un point fixe situé à 11 mètres du but, et seul le gardien est autorisé à défendre son but. Il n’est pas surprenant que 80 % des tirs de réparation se transforment en but. Il faut une fraction de seconde au ballon pour parcourir les 11 mètres, de sorte que le gardien doit décider de la direction à prendre sur la base d’informations limitées.

Les recherches ont montré que la stratégie optimale consistait pour le gardien à rester au centre du but. Pourtant, cette stratégie n’est utilisée que 6 % du temps. C’est le biais d’action : il vaut mieux avoir l’air de faire quelque chose, même si c’est contre-productif, que l’inverse.

Ce même biais joue un rôle dans le comportement des investisseurs. Selon une étude bien connue, les personnes qui, sous l’effet du biais d’action et d’un excès de confiance, négocient le plus et renouvellent tout leur portefeuille près de deux fois en un an, se voient obtenir des rendements inférieurs à ceux du marché, et ce, d’environ 6,5 % par an. La volatilité des marchés incite les investisseurs à vérifier leurs portefeuilles plus fréquemment, ce qui peut conduire à des comportements encore plus nuisibles comme l’intensification des transactions. L’investisseur moyen obtient des rendements inférieurs à la moyenne parce qu’il achète généralement beaucoup par peur de rater une occasion et qu’il vend quand le marché est à la baisse parce qu’il réagit de manière excessive aux mauvaises nouvelles.

Comment les investisseurs peuvent-ils déjouer le biais d’action? Gary Klein, chercheur en psychologie, a mis au point une approche qu’il a appelée « premortem ».

La plupart des entreprises examinent après coup un projet qui a échoué et cherchent à savoir ce qui n’a pas fonctionné. M. Klein préconise d’inverser cette logique, à l’instar de la stratégie d’inversion utilisée par Charlie Munger, l’associé de Warren Buffett : Faites un saut d’un an dans le futur, puis imaginez-vous que la décision que vous avez prise ait échoué lamentablement. Qu’aurait-il pu se passer différemment? Ce type d’approche oblige les décideurs à mettre au jour les menaces et les obstacles qui, autrement, resteraient occultés. Elle permet également aux investisseurs de mettre en évidence les conséquences potentielles de décisions fondées sur le biais d’action.

Notre action peut porter préjudice, au même titre que notre inaction. Le défi consiste à savoir quand agir et quand attendre. Par chance, la plupart des décisions de placement ne sont pas une question de vie ou de mort. Il est possible de prendre le temps de laisser ses émotions s’apaiser et de mettre en marche notre raisonnement.

Nous pouvons nous rappeler les paroles empreintes de sagesse du philosophe français Blaise Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre. »