Article de fond rédigé par nos partenaires américains

Depuis le début de 2020, peu importe nos opinions, nos convictions ou nos expériences personnelles, nous avons probablement vu des choses auxquelles nous ne nous attendions pas, que nous n’avions jamais voulu voir et que nous ne pouvons plus occulter. Je ne peux pas occulter les pertes, les inégalités, le désespoir et la haine, tout comme je ne peux occulter la compassion, l’altruisme, la détermination et l’espoir. Je ne suis pas différent des membres de votre famille ou de vos employés, mais je ne suis plus tout à fait la même personne qu’en 2019.

Présumer que les défis et les perspectives à venir sont envisageables de la même façon qu’en 2019 reviendrait à faire abstraction de la situation extrême que nous avons connue en 2020.

Pourtant, dans les entretiens que mes collègues et moi-même avons avec des dirigeants de bureaux familiaux et avec des familles partout aux États-Unis, nous entendons des propos sur l’avenir qui commencent par « Maintenant que nous sommes de retour à la normale... »

Il est évident que nous avons changé, que nos employés et nos familles ont changé et que le contexte dans lequel nous exerçons tous nos activités a changé. Ces transformations sont sûrement plus profondes que les changements de comportements, car nos anciennes habitudes pourraient finir par prendre le dessus. Notre identité, notre perception du monde et nos modes d’interaction ont fondamentalement changé en raison de nos expériences de la dernière année. Ces changements peuvent avoir une incidence sur le système de gestion de patrimoine familial et la façon dont les solutions proposées par les bureaux familiaux répondent aux besoins des familles. En faire abstraction représente, au mieux, une occasion perdue.

Nous comprenons que de nombreuses décisions pratiques, concrètes et urgentes doivent être prises au nom de la famille et du bureau familial et nous ne prétendons pas que ces décisions doivent être mises de côté. Selon nous, si nous sommes réellement déterminés à aider nos familles et notre personnel à réussir, nous devons prévoir du temps pour explorer les répercussions de la dernière année au niveau individuel.

Les cinq questions ci-après ne sont pas les plus urgentes et de nombreux dirigeants et membres de leur famille n’y prêteront probablement pas attention. Or, du point de vue de mon équipe – qui travaille depuis près de 20 ans dans la gestion du patrimoine familial et a mené plus de 1 000 entretiens avec des bureaux familiaux au cours de la dernière année seulement – il se peut que ces questions soient les plus à propos et les plus significatives. « Significatives » en ce sens qu’elles peuvent mettre en lumière des risques et des occasions qui sont passés inaperçus, qu’elles peuvent avoir une influence démesurée sur la capacité des bureaux de rester pertinents pour les familles en évolution et qu’elles peuvent aider les bureaux à retrouver le dynamisme dont ils ont besoin pour servir les familles le mieux possible. « À propos » en ce sens que nous sommes actuellement à un point d’inflexion; la situation fluctue encore. La façon dont nous réagissons – ou non – en ce moment peut donner le ton et baliser le chemin pour des années, voire des générations, à venir.

  1. À mesure que les inégalités de richesse explosent et que l’animosité envers les ultrariches augmente, quels risques et quelles occasions ces tendances présentent-elles pour les bureaux et les familles que vous servez?
  2. En quoi la génération montante a-t-elle changé au cours des 12 derniers mois (et que faites-vous devant cet état de fait)?
  3. En « restant dans leur voie », les bureaux ratent-ils des occasions de rester pertinents?
  4. Vos employés savent ce que vous avez fait l’été dernier. Doublez-vous la mise ou corrigez-vous le tir? La diversité et l’inclusion dans les bureaux familiaux : est-ce une tendance durable ou passagère?

1. À mesure que les inégalités de richesse explosent et que l’animosité envers les ultrariches augmente, quels risques et quelles occasions ces tendances présentent-elles pour les bureaux et les familles qu’ils servent?

Rapport entre la tranche supérieure de 1 % et la tranche inférieure de 50 % de la valeur nette totale aux États-Unis

Graphique à barres montrant la progression chronologique de l’inégalité de la richesse aux États-Unis compte tenu de la différence entre la valeur nette de la tranche supérieure de 1 % et la tranche inférieure de 50 %. En 1990, le ratio de la valeur nette de la tranche supérieure de 1 % des familles américaines 6,4 fois supérieure à celle de la tranche inférieure de 50 %. Au début de 2020, cependant, ce nombre était passé à 16,5 fois.

Source : Board of Governors of the Federal Reserve System (U.S.), statistiques sur la valeur nette totale, tirées de FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis; https://fred.stlouisfed.org/series/WFRBLT01026, 6 mai 2021.

Les changements qui sont intervenus dans la répartition du patrimoine familial au cours des dernières décennies sont frappants, comme le montre le graphique ci-dessus. Au début de 1990, la valeur nette totale de la tranche supérieure de 1 % des familles américaines était 6,4 fois supérieure à celle de la tranche inférieure de 50 %. Au début de 2020, cependant, ce nombre était passé à 16,5 fois1. La dichotomie entre les « nantis » et les « démunis » crée une dynamique dans laquelle il est facile pour un camp d’éprouver beaucoup de méfiance et de colère envers l’autre.

L’animosité envers les ultrariches couve depuis un certain temps déjà, mais elle a récemment atteint le point d’ébullition en raison des événements de l’an dernier. Les médias ont fait état de rassemblements dans lesquels des manifestants ont peint à l’aérosol « Eat the rich » (Mangeons les riches) sur les murs d’immeubles et une rancœur croissante contre les riches plane sur de nombreux campus universitaires.

L’accentuation des disparités dans la répartition de la richesse et le sentiment général de défiance envers les riches présentent un risque auquel de nombreux bureaux familiaux ne pensent pas. Toutefois, lorsque des bureaux abordent cette problématique avec moi, ils évoquent deux principaux types de risques : les risques externes et les risques internes.

L’animosité envers les ultrariches couve depuis un certain temps déjà, mais elle a récemment atteint le point d’ébullition en raison des événements de l’an dernier. Les médias ont fait état de rassemblements dans lesquels des manifestants ont peint à l’aérosol « Eat the rich » (Mangeons les riches) sur les murs d’immeubles et une rancœur croissante contre les riches plane sur de nombreux campus universitaires.

L’accentuation des disparités dans la répartition de la richesse et le sentiment général de défiance envers les riches présentent un risque auquel de nombreux bureaux familiaux ne pensent pas. Toutefois, lorsque des bureaux abordent cette problématique avec moi, ils évoquent deux principaux types de risques : les risques externes et les risques internes.

Risques externes

  • Sécurité physique – Plus la visibilité publique des inégalités de patrimoine ou la virulence des propos à ce sujet devient grande, plus la sécurité des familles devient préoccupante. Les dirigeants des bureaux familiaux peuvent imposer des contraintes aux membres de leur famille dans leurs déplacements et leurs apparitions publiques (ou même dans leurs rencontres en privé). Le protocole peut dicter de restreindre l’exposition des membres de la famille dans les lieux publics, de les faire accompagner par des gardes du corps dans leurs déplacements ou d’envisager la prise de mesures de sécurité à l’occasion de manifestations ou en présence de militants à des rencontres ou des rassemblements familiaux. Les enlèvements ont toujours été un motif de préoccupation pour les familles très fortunées. À en juger par les taux d’enlèvement à l’extérieur des États-Unis, les Américains ont été relativement épargnés, du moins jusqu’à aujourd’hui. Comme nous le savons maintenant, tout peut changer en un rien de temps.
  • Perte d’acceptabilité sociale – Du point de vue du public, les ultrariches ont actuellement la latitude de se déplacer librement, de fréquenter ouvertement des universités et de diriger leurs entreprises d’une manière visible. À mesure que le ressentiment envers les élites augmente, celles-ci risquent d’être incapables d’exercer leurs activités au grand jour si les consommateurs boudent leurs produits et services ou les collectivités s’opposent à leurs activités commerciales sur leur territoire. « Il est clair que la grogne monte », a dit un client. « La question est de savoir quand la colère va exploser. »
  • Confiscation de la richesse – Se pourrait-il que l’opinion publique à l’égard des ultrariches influe sur les cibles des batailles fiscales de nos élus? Au-delà de la fiscalité légale, le vol attribuable à la cyberfraude nuit quotidiennement aux bureaux familiaux. L’histoire nous enseigne que, dans des situations plus radicales et extrêmes, la redistribution de la richesse est souvent liée à des soulèvements violents et à l’effondrement d’États, comme en témoigne l’ouvrage The Great Leveler de Walter Scheidel.
  • Baisse du bassin de talents dans lequel puiser – Prenons un exemple proche de nous : S’il y a une animosité grandissante envers les professionnels riches et talentueux qui ne veulent pas être perçus comme faisant partie de « la cause du problème » ou de « l’industrie de la défense du patrimoine » pour paraphraser Chuck Collins, auteur et directeur à l’Institute for Policy Studies, les bureaux familiaux pourraient faire face à une pénurie de candidats de calibre ou attirer des professionnels qui ne voudraient peut-être pas sincèrement promouvoir la réussite des familles.

Bien que les risques externes soient réels, ils peuvent sembler moins urgents et plus immuables. Que peut faire la famille? Les risques internes peuvent représenter une menace plus immédiate et perturbatrice, qui semble peut-être plus palpable pour les familles d’aujourd’hui. Selon nos observations, il s’agit peut-être du changement le plus important auquel nous ayons assisté au cours de la dernière année parce que notre clientèle ne peut pas fermer les yeux sur une iniquité flagrante, c’est-à-dire le fossé qui sépare la manière dont elle a vécu la dernière année et les difficultés que la plupart des autres Américains ont connues pendant cette période.

Voici quelques-uns des risques que nous avons récemment cernés en discutant avec des clients :

Risques internes

  • Se départir de son patrimoine ou vouloir « détruire le capitalisme » – Des membres de familles très fortunées souhaitent se défaire délibérément de leur patrimoine en raison des problèmes systémiques perçus qui sont associés aux ultrariches. De nombreux millénariaux semblent se dissocier ouvertement du patrimoine familial afin de « vivre selon leurs valeurs » et cette tendance est perceptible au point d’avoir suscité l’intérêt du New York Times2.
  • Apathie à l’égard de l’entreprise – Même si les membres de la famille ne vont pas jusqu’à se départir de leur patrimoine, nous observons une apathie plus générale à l’égard de l’entreprise familiale, qui peut être tout aussi destructrice au fil du temps qu’un désengagement actif. Là encore, la jeune génération (en général, mais certainement pas exclusivement) a l’impression que quelque chose ne va pas et qu’elle fait partie d’un « système pernicieux ». Ces jeunes ne vont peut-être pas lever la main, poser des questions et tenter de faire tomber le système, mais ils ne désirent pas participer aux activités de la famille.
  • Perte du respect ou rupture des relations avec les autres membres de la famille – Les conflits et la polarisation sont fréquemment les causes de la détérioration des relations familiales en raison de la perte de respect envers les autres membres de la famille. Cela est malsain pour le système familial et pour soi-même et c’est assurément malsain pour la pérennité de la réussite des entreprises familiales.

Il est important de se prémunir contre ces risques ou de les atténuer. La question primordiale est donc celle-ci : que faire? Et comment pourrait-on transformer l’atténuation des risques en une occasion positive pour la famille?

Certaines des familles auxquelles nous avons parlé tentent, par exemple, de gérer ces risques en revoyant la vision de la famille, en travaillant de façon plus délibérée pour exercer un leadership dans leur collectivité ou en interagissant avec la génération montante.

Le moment est peut-être venu pour les familles de repenser leur vision de la réussite, de se réunir et de redéfinir l’image qu’elles veulent projeter en tant que familles.

Questions auxquelles réfléchir

  • Quels risques et occasions ces tendances, non maîtrisées, présentent-elles pour les bureaux et les familles qu’ils servent? Sur quel horizon temporel?
  • Comment des familles comparables ont-elles réagi ou ont-elles été touchées par les inégalités dans le passé?
  • Avons-nous prévu du temps pour que les familles redéfinissent leur vision de la réussite?
  • Quel est notre rôle en tant que professionnels ou chefs de famille dans l’amorce de conversations que d’autres pourraient être tentés d’esquiver?
  • En tant que professionnels, comment pouvons-nous concilier notre rôle dans un système dont nous pouvons profiter et, simultanément, auquel nous pouvons trouver des failles?

2. Comment la génération montante a-t-elle changé au cours des 12 derniers mois (et que faites-vous devant cet état des faits)?

Réfléchissons à l’évolution de la génération montante au cours des 12 derniers mois.

Les événements survenus l’an dernier ont laissé une empreinte durable en chacun de nous et la génération montante ne fait pas exception.

Dans l’ensemble, nous avons observé des changements positifs dans la façon dont les générations ont évolué en ce qui concerne leurs interactions au cours de la dernière année (surtout au début de la pandémie, à partir des confinements). Nous avons observé, peut-être en raison de l’intimité forcée créée par la proximité, une augmentation du temps de qualité et de l’égalité dans les rapports intergénérationnels, ce qui a mené à une plus grande transparence et au resserrement des liens entre les générations.

La pandémie a permis à de nombreux parents de voir leurs enfants davantage comme des pairs ayant des points de vue d’adultes et la capacité de prendre des décisions réfléchies – et de réagir en conséquence.

Sur ce plan, j’ai également constaté chez les parents et les enfants un intérêt accru pour le ressourcement de la génération montante. Qu’est-ce que j’entends par cela? Eh bien, il est plus fréquent dans les bureaux familiaux que des parents se demandent : « Comment puis-je me renseigner sur ce sujet en particulier pour transmettre cette information à mes enfants? Comment puis-je commencer à faire participer mes enfants à la prise de décisions sur tel ou tel sujet? Comment puis-je enseigner la littératie financière à mes enfants? » Par ailleurs, la génération montante s’affirme et dit : « Je ne veux plus me tenir à l’écart de la prise de décisions. Il s’agit de mon entreprise familiale ou de mon système familial. Je veux avoir voix au chapitre. »

Il serait risqué de présumer que c’est la seule façon dont les jeunes ont changé et que vous pouvez conserver la mentalité de 2019. En adoptant dans le contexte actuel une approche qui a été fructueuse auparavant, vous pourriez vous retrouver en mauvaise posture. Avant de déterminer la meilleure façon d’engager le dialogue et de servir la génération montante, nous devons examiner si elle a changé et en quoi sa relation avec la famille a changé.

En lien avec notre sujet précédent, soit les inégalités, et en dehors de cela, il y a des raisons de croire que la jeune génération a changé, comme nous tous. Nous avons notamment constaté que :

  • La génération montante s’interroge davantage et est plus introspective.
  • Elle manifeste une plus grande conscience et une plus grande reconnaissance de sa propre place et de ses privilèges dans la société – et, pour beaucoup, dans des microcosmes comme leur milieu de travail.
  • Elle est moins enracinée : les événements de la dernière année ont fait basculer les choses. La génération de demain cherche à reprendre pied et à retrouver la stabilité. La façon dont le bureau et la famille interagissent avec les jeunes déterminera la manière dont ils se positionneront – soit en tant qu’adversaires de la famille (ou du dirigeant de l’entreprise familiale) ou en tant qu’alliés à part entière.
  • Les membres de la génération montante ressentent davantage la honte et la culpabilité, ce qui peut être destructeur pour eux-mêmes et pour la famille.

J’ai parlé récemment avec un trentenaire qui m’a fait part de la façon dont la dernière année a changé sa vision des choses en tant que personne privilégiée :

« Il est clair que la dernière année m’a fait prendre conscience avec beaucoup plus d’acuité de l’immense chance que j’ai eue de grandir dans ce milieu et que j’ai encore aujourd’hui. Cette prise de conscience s’est accompagnée de beaucoup de culpabilité et de honte parce que j’ai entendu dire qu’un très grand nombre de gens ont éprouvé des difficultés financières partout aux États-Unis. J’ai eu cette réflexion il y a quelques jours, à l’occasion d’une formation sur la diversité et l’inclusion au travail. Ils nous ont incités à parler en petits groupes des facettes de notre identité dont nous sommes particulièrement conscients en ce moment. Il est facile de parler de mon identité en tant que personne blanche, mais ce dont je suis surtout conscient, c’est de mon appartenance à une famille fortunée. »

Compte tenu de l’évolution de la génération montante, comment nous adaptons-nous à ces changements? Ne pas tenir compte de son évolution pourrait présenter un risque énorme et, si la génération qui est aux commandes et les dirigeants n’agissent pas rapidement, l’occasion de mobiliser les jeunes pourrait leur échapper. Comme le disait Tsitsi Mutendi, un conseiller auprès d’entreprises familiales, « ils n’ont que deux options : la lutte ou la fuite ». Les jeunes vont-ils déserter l’entreprise familiale? Ou vont-ils se battre pour saboter activement le système? Ou encore peut-il y avoir un combat plus constructif et un engagement des jeunes envers la famille et le bureau familial pour amener les changements auxquels ils aspirent? C’est le type de lutte auquel nous aspirons. L’engagement engendre l’évolution et l’évolution engendre la pertinence. Les jeunes vont-ils mettre à profit cette prise de conscience pour façonner la famille et le bureau ou vont-ils fuir l’entreprise ou encore la laisser péricliter?

Le dirigeant d’un bureau avec lequel j’ai parlé rassemble chaque année les membres de la famille et leur donne un livre à lire. Au cours des dernières années, le thème a été l’amélioration personnelle. Cette année, la génération montante est intervenue, disant : « Ce n’est pas le moment de se centrer sur soi. Nous devrions nous tourner vers l’extérieur et nous préoccuper des enjeux auxquels le monde et nous faisons face aujourd’hui. »

Questions auxquelles réfléchir

  • Que signifie être l’héritier d’un patrimoine en 2021? Les héritiers d’aujourd’hui ont-ils un fardeau différent ou plus lourd à porter?
  • À quelles conséquences à long terme pour les héritiers et la famille, sans parler de la culpabilité, s’expose-t-on en laissant des questions sans réponse au sujet du patrimoine transmis?
  • Comment savoir ce que la génération montante pense ou ressent?
  • Y a-t-il de nouvelles occasions de faire participer la génération montante ou de susciter un rapprochement? Parmi nos anciennes approches, lesquelles pouvons-nous interpréter différemment après 2020?
  • Les parents ont-ils changé de la même façon que leurs enfants ou différemment d’eux? Prévoit-on une plus grande cohésion ou de plus vives tensions familiales? En tant que professionnels, sommes-nous au service de la génération actuelle ou de celle de demain?
  • En tant que professionnels, comment abordons-nous les membres de la génération montante qui veulent prendre leurs distances ou s’employer activement à « détruire le système »? Comment éviter d’être condescendants ou de nuire à leur estime de soi? Comment concilier ce qui convient le mieux à la famille et ce qui convient le mieux à la personne?

3. En « restant dans sa voie », le bureau rate-t-il des occasions de rester pertinent?

Les événements de l’an dernier ont épuisé les dirigeants, dont bon nombre ont travaillé sans relâche pour empêcher le train de dérailler. « Dix ans de progrès technologiques et techniques en deux semaines », a ironisé un dirigeant à propos de l’évolution rapide de son bureau au cours des premiers jours de la pandémie. Et, à sa décharge et à celle d’autres dirigeants, il faut reconnaître que de nombreux dirigeants ont dû s’adapter et se sont tirés d’affaire. Je les en félicite. Rendons-leur hommage.

Malheureusement, de nombreux bureaux font preuve d’indifférence et se concentrent sur l’excellence de l’exécution alors que les membres de la famille et le système familial évoluent en périphérie. Nous faisons valoir depuis longtemps que les bureaux parviennent difficilement à évoluer assez rapidement même lorsque les familles changent à un rythme extrêmement lent. L’année 2020 ayant été exceptionnellement difficile, comment les bureaux peuvent-ils parvenir à bien évoluer sans adopter une approche toujours plus lucide et réfléchie – ou sans se demander de prime abord : « Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui? »

Il serait salutaire que les familles réfléchissent à leur vie et au contexte actuel et qu’elles réorientent leurs bureaux pour qu’ils répondent à leurs besoins changeants. Certaines le feront, mais la plupart ne le feront pas, ce qui signifie qu’il incombe aux bureaux d’aller au-delà des besoins exprimés et de cerner les véritables besoins des familles.

Les mots « véritables besoins » pourraient irriter les personnes qui restent obstinément attachées au modèle mental voulant que « le bureau familial n’exécute que les demandes exprimées par la famille ». Les dirigeants qui se disent que si le bureau familial ne le fait pas, personne d’autre ne le fera reconnaissent qu’aucune autre entité n’est mieux placée pour explorer les besoins d’une famille florissante. Ce sont ces leaders qui créeront des occasions de tisser des liens avec les membres de leur famille, d’explorer la façon dont la famille a changé, puis de situer les changements intervenus dans le contexte actuel.

Nous reconnaissons que des obstacles réels créent des risques pour les dirigeants disposés à explorer les véritables besoins de leur famille. De nombreux professionnels n’ont pas – ou, plus souvent, supposent qu’ils n’ont pas – la permission d’explorer ce territoire avec les membres de leur famille. Et même s’ils le font, ils pourraient ne pas avoir accès à la famille au complet, au-delà des dirigeants ou du conseil. De plus, il se pourrait tout simplement que les ressources, les compétences et le langage qui leur faciliteraient la tâche fassent défaut.

Des outils et du soutien sont à leur disposition.

Qu’est-il possible de faire? Certains bureaux utilisent ce « redémarrage » pour faire participer la famille à des discussions nouvelles ou actualisées afin de comprendre qui elle est, ce qu’elle attend du bureau familial et quels outils pourraient lui être utiles pour matérialiser sa vision de la réussite familiale. C’est de cette façon que nous servons le mieux les familles. Nous cherchons des moyens de les aider à être prospères. Ce faisant, le dirigeant d’un bureau familial demeure une source pertinente de valeur, de continuité et de sécurité pour l’avenir et les générations successives.

Questions auxquelles réfléchir

  • Quelles réalisations marquantes le bureau familial a-t-il accomplies au cours de l’année écoulée et que pouvons-nous apprendre de cela? La famille est-elle au courant de ces réalisations?
  • Quels changements au sein de la famille ont une incidence sur le lien, les interactions ou la communication entre le bureau et la famille?
  • En quoi la trajectoire de la famille pourrait-elle avoir changé et quelles conséquences cela a-t-il sur les efforts du bureau pour conserver sa pertinence?
  • Quels sont les défis évidents qui ont fait surface? De plus, quelles sont les tendances émergentes qui pourraient laisser entrevoir des défis moins évidents ou à plus long terme?
  • Y a-t-il des changements dans la dynamique ou les attitudes qui pourraient être mis à profit comme points d’inflexion pour renouveler les modes d’interaction de la famille?
  • Au-delà de ce que la famille demande, quels besoins un observateur impartial pourrait-il entrevoir?

4. Vos employés savent ce que vous avez fait l’été dernier. Doublez-vous la mise ou corrigez-vous le tir?

Plus d’une fois au cours de la dernière année, vous avez dû réagir à des événements inattendus : une fermeture, une alerte sanitaire, une crise sociale, l’affolement du personnel ou la polarisation politique au bureau. Certains de ces événements ont été si soudains ou déconcertants que nous n’avons pas eu le temps de réfléchir et sommes spontanément passés à l’action. C’est à ce moment-là que nous nous montrons sous notre vrai jour. Ou, comme le disait Scott Peppet, le dirigeant d’un bureau familial : « On met ses cartes sur la table sans espoir de les récupérer. »

Même si vous savez peu de choses concernant la vie de vos employés ou les émotions ou les expériences que 2020 leur a fait vivre, vous avez fait preuve d’une transparence absolue au sujet des valeurs et de la philosophie qui animent le bureau familial. Qu’ont-ils vu? Qu’ont-ils entendu? Ont-ils l’impression de travailler pour le compte d’un employeur ou d’une famille dont les valeurs correspondent aux leurs?

Lorsque la poussière sera retombée et que les employés auront acquis la certitude que leur famille et eux-mêmes iront bien, comment votre bureau se portera-t-il? Vos employés seront-ils des champions pour le bureau et la famille ou perdrez-vous des employés qui estiment que leurs valeurs et leurs priorités ne correspondent pas à celles du bureau? La multiplication des nouvelles perspectives de carrière attribuable à la diminution des contraintes géographiques attirera-t-elle des talents?

Il y a deux enjeux ici. En premier lieu, la mobilité du personnel perturbe les bureaux. Les employés qui ont constaté une concordance de valeurs peuvent devenir des champions encore plus importants pour la famille et le bureau, mais les employés qui ont observé une dissonance entre leurs valeurs et celles du bureau seront plus enclins à chercher un nouvel employeur une fois que la poussière sera retombée et que les conditions seront plus rassurantes. (De plus, l’assouplissement des contraintes géographiques fera croître les perspectives d’emploi.)

La mobilité du personnel perturbe assurément le fonctionnement des bureaux et monopolise leur attention au détriment de l’excellence de l’exécution, mais leur principal problème réside peut-être dans leur capacité à assurer leur prospérité. Comme nous l’avons noté dans des articles antérieurs, lorsque l’équipe d’un bureau est florissante, la famille est mieux servie. De plus, la culture est fondamentale pour la réussite des équipes. Il a toujours été difficile de créer et de cultiver la bonne culture et, malheureusement, une grande partie de ce que nous avons appris auparavant pourrait ne pas être applicable aujourd’hui. Par conséquent, la question de savoir s’il faut doubler la mise ou corriger le tir devient plus complexe. Le paysage a changé, nos modes et nos lieux de travail ont changé, la façon dont vos employés perçoivent la convergence entre leurs valeurs et celles de votre bureau a changé et les employés eux-mêmes ont changé.

Pour revenir à ce dernier point, lorsque mon équipe a commencé à discuter de la reconstruction de la culture de notre bureau après la pandémie, nous avons constaté que nous ne savions pas si les personnes auxquelles nous nous adressions étaient les mêmes qu’en 2019. Nous avons donc décidé de les interroger. Nous ne leur avons pas juste demandé comment elles se sentaient (ce qui est très éclairant pour comprendre les fluctuations du moral d’une équipe), mais comment elles ont pu changer sur le plan personnel au cours de la dernière année.

Leurs témoignages ont été saisissants. Les changements positifs sont encourageants même s’ils ont été causés par des pertes ou par la peur. Les changements négatifs ont certes été difficiles à entendre, mais révélateurs. Nous savons maintenant avec certitude que nous avons affaire à un ensemble de problèmes différents de ceux que nous avons connus auparavant.

Je le dis parce que je n’ai aucune raison de croire que mon équipe a réagi différemment des vôtres à la suite des événements de l’an dernier.

Questions auxquelles réfléchir

  • Quelles mesures avez-vous prises et quels sont les événements qui les ont dictées? Quand les avez-vous prises?
  • Quels messages avez-vous communiqués, et quand?
  • Abstraction faite de ce que vous avez dit et fait, qu’est-ce que vos employés ont ressenti et entendu? Qu’est-ce qui vous fait croire cela?
  • Y a-t-il quelque chose que vous préféreriez ne pas avoir fait?
  • En quoi les personnes qui travaillent dans votre bureau ont-elles changé au cours de la dernière année?
  • Quelles sont les nouvelles variables avec lesquelles vous devrez composer pour reconstruire la culture de votre bureau au cours de la prochaine phase?

5. La diversité et l’inclusion dans les bureaux familiaux : est-ce une tendance durable ou passagère?

La plupart des bureaux avec lesquels j’ai eu des entretiens ont exprimé leur intention d’appuyer l’équité sociale et la justice et de tirer parti du contexte actuel comme point d’inflexion pour réaliser des progrès dans leur propre organisation. Pour revenir à aujourd’hui, nous faisons le triste constat que les progrès réalisés dans certains bureaux sont décevants.

Il y a eu des changements positifs encourageants. Bon nombre de grands bureaux dotés d’équipes de ressources humaines structurées ont fait avancer leurs initiatives internes en matière de diversité et d’inclusion. Il en va de même pour les bureaux qui, dans le passé, ont soutenu les objectifs de la famille liés aux retombées sociales et au capital relationnel. Et, bien sûr, en dehors de la diversité et de l’inclusion dans les bureaux, de nombreuses familles ont intensifié leurs efforts philanthropiques en faveur de la création d’une société plus inclusive.

Les bureaux multifamiliaux commerciaux ont aussi accompli d’énormes progrès, ce qui montre l’aspect positif de la concurrence sur le marché.

Malgré ces succès, d’autres dirigeants se sentent impuissants. Ils savent que la promotion de la diversité et de l’inclusion dans leur bureau peut contribuer à attirer des talents, mais bon nombre d’entre eux se sentent mal outillés et dépourvus de ressources ou n’ont pas l’impression d’avoir le plein appui de la famille pour effectuer des changements dans leur bureau.

La pluralité des perspectives peut aider les entreprises à rester pertinentes et innovatrices. En général, la diversité et l’inclusion tiennent d’abord au bassin et aux méthodes de recrutement des organisations, mais un milieu plus inclusif peut aussi être instauré grâce au comportement d’une seule personne. Le temps consacré à l’apprentissage, à l’exploration et à l’action peut faciliter les progrès et créer un élan durable.

Le changement est difficile, nous le savons. Mais si nous ne faisons pas bouger les choses maintenant, quand le ferons-nous?

Questions auxquelles réfléchir

  • De quoi a-t-on besoin pour amener des changements de comportements?
  • À quels obstacles nous heurtons-nous?
  • Qui sont les experts auprès desquels vous pouvez apprendre ou que vous pouvez embaucher pour catalyser le changement?
  • La famille comprend-elle le lien entre la diversité et l’inclusion et la réussite de l’équipe du bureau familial?
  • Comment pouvez-vous être un allié actif et créer un espace propice au dialogue dans votre bureau?
  • Comment pouvez-vous instaurer un dialogue sur tous les types de différences (race, genre, orientation, etc.) avec la famille?
  • Nommez quelques mesures que vous pourriez prendre pour créer un milieu de travail inclusif.
  • Comment l’équipe d’un bureau familial peut-elle comprendre les réalités vécues par chacun des ménages de la famille?

Ce que nous réserve l’avenir

Dans un article datant d’avril 2020 et intitulé The Pandemic Is a Portal, l’écrivaine Arundhati Roy a écrit : « Nos esprits continuent de faire des allers-retours, d’espérer un retour à la “normalité”, tentant de ressouder notre avenir avec notre passé et refusant d’admettre la rupture entre les deux. Mais la rupture est réelle3. »

Nous espérons qu’après avoir lu les cinq questions qui précèdent, vous prendrez le temps de réfléchir à ces thèmes, qui sont d’actualité et assurément éclairants pour le succès à long terme des familles et des bureaux familiaux. Nous espérons qu’en utilisant les questions indiquées à la fin de chaque section pour vous aider à amorcer le dialogue, vous émergerez de la dernière année en ayant une approche renouvelée afin d’assurer le dynamisme et l’efficacité de votre bureau pour les années et les générations à venir.