Fin de la mondialisation – Partie 2 – Sphères d’influence
Adam Kutas | Gestionnaire de portefeuille
Juillet 2020
(En télétravail à) Londres, Royaume-Uni
Le fait de vivre au Royaume-Uni donne un accès privilégié à l’actualité européenne, car les fils de presse britanniques relaient de nombreuses nouvelles que la presse mondiale risque d’ignorer. Deux nouvelles à propos de l’Allemagne ont attiré mon attention; elles ont un lien avec le billet du mois dernier, intitulé Fin de la mondialisation?
- « Pour contrer les ambitions commerciales de la Chine, l’Union européenne lui lance un coup de semonce et adopte des droits de douane sans précédent, en réponse aux subventions que l’État chinois verse aux exportateurs. Lundi, pour la première fois, l’UE s’est attaquée aux aides financières versées par un État à des exportateurs établis dans un autre pays, subventions qui, selon l’UE, créent des distorsions sur le marché. Jusqu’ici, les droits de douane européens visaient seulement les subventions versées par le pays dans lequel les exportateurs sont établis. » – Bloomberg, 15 juin 2020 (traduit de l’anglais).
- « Jeudi, le projet de loi porté par la chancelière Angela Merkel, qui vise à mieux protéger les entreprises allemandes d’une prise de contrôle par des intérêts étrangers, a reçu l’approbation finale du Parlement. Cette décision intervient alors que certains craignent des acquisitions par des sociétés financées par la Chine et d’autres pays. » – Bloomberg, 18 juin 2020 (traduit de l’anglais).
La conclusion de mon précédent billet était que la mondialisation, qui n’a jamais cessé d’avancer, connaît probablement un épisode de ralentissement. Ce mois-ci, je pousse la réflexion un peu plus loin. Certes, la mondialisation marque sans doute un temps d’arrêt, mais il est probable que, dans trois grandes sphères d’influence, à savoir celles des États-Unis, de la Chine et de l’Europe, une sorte de « mondialisation régionale », c’est-à-dire l’élimination de barrières commerciales et une tendance à l’intégration, soit en train de s’accélérer, en particulier pour la Chine et l’Europe. Par exemple, les liens se consolident entre la Chine et les Philippines ou entre l’UE et le Maroc alors que des barrières s’érigent à l’échelle mondiale, notamment entre la Chine et les États-Unis.
Dans le cas de l’Europe, la tendance à l’intégration (le Brexit étant une exception) répond notamment à l’inquiétude entourant la concurrence de la Chine et des États-Unis. (Les Canadiens comprendront une telle démarche, puisqu’en 1867, la Confédération des deux Canada et des provinces maritimes est née, en partie, des craintes suscitées par l’hégémonie des États-Unis après la guerre de 1812 et les raids féniens de 1866). Malgré toutes les manchettes à propos du sentiment anti-UE et des querelles entre gouvernements européens, on pourrait dire que l’Europe connaît un tournant décisif dans son intégration, puisqu’elle vient de faire un pas important vers une union budgétaire et la création de subventions et d’instruments de dette mutualisée européens.
Qu’est-ce que cela signifie pour les marchés frontaliers? La plupart des investisseurs craignent que la fin de la mondialisation entraîne une augmentation des barrières commerciales, ce qui nuirait à de nombreux marchés frontaliers et émergents. Toutefois, la plupart des marchés frontaliers appartiennent à la sphère d’influence de la Chine, dans laquelle l’intégration s’accélère. Cette tendance s’appuie sur l’Initiative « ceinture et route » (ICR), dont j’ai parlé dans un billet précédent. Dans le graphique 1, les pays en vert adhèrent à l’ICR (toutefois, l’ampleur de leur participation varie considérablement d’un pays à l’autre). Quand on compare cette carte au graphique 2, qui montre les pays dans lesquels le géant chinois Huawei installe son réseau de télécommunication 5G, on constate un chevauchement assez net. Les revenus étant généralement assez bas dans les marchés frontaliers, la technologie chinoise, plus abordable, s’est taillé une vaste part de marché dans ces pays, en particulier dans les secteurs des technologies et des télécommunications. Comme le montre le graphique 3, la valeur des exportations technologiques de la Chine vers les marchés frontaliers est aujourd’hui plus de dix fois supérieure à celle des exportations des États-Unis, en dollars américains.
Ces relations commerciales sont une source de valeur pour les deux parties et sont positives pour la réputation de la Chine. Le Cambodgien moyen, par exemple, a accès à un téléphone intelligent et à une excellente couverture réseau d’un bout à l’autre du pays et a peut-être recours à des services de technologie financière (probablement grâce à Alipay, la plateforme d’Alibaba, le géant chinois de la technologie); tout cela a grandement amélioré sa qualité de vie. De son côté, la Chine a accès à des marchés nouveaux et en croissance, et se bâtit une sphère d’influence géopolitique.
Si tout cela est exact, il est peu probable que la Chine érige des barrières susceptibles de limiter ces avantages; elle devrait plutôt accélérer cette tendance. Cela devrait beaucoup profiter aux entreprises des pays frontaliers et aux sociétés chinoises qui délocalisent des usines vers des pays comme le Vietnam : elles réduisent leurs coûts de production et donnent aux pays frontaliers accès à des technologies plus abordables. Par conséquent, le Fonds continue de miser sur un panier de fabricants chinois de textiles et de chaussures, et sur des sociétés de télécommunication et des banques qui peuvent profiter des avantages de l’abordabilité et de l’expansion de la connectivité, attribuables à la « mondialisation régionale ».
Merci d’avoir lu ce billet. Prenez soin de vous.
Adam J. Kutas, CFA
Crédit : Emily Feng, Amy Cheng et Thomas Willbrun / NPR